Et si le contrôle de gestion n’était pas le monde des chiffres ?
Laurent Allais
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On ne compte plus les films où, avant de cambrioler une banque, délivrer un otage ou désactiver une bombe, le héros clame fièrement à ses co-équipiers : « J’ai un plan ». S’en suit une description de ce que chacun va devoir accomplir selon un timing millimétré, qui sera (parfois) respecté à la lettre. Est-ce que quelqu’un se précipite alors sur une feuille pour la remplir de chiffres ? Jamais. Personne, non plus, ne bâtit un dashboard avec tableaux et waterfalls. Pourquoi ? Parce qu’un plan c’est d’abord un récit, une histoire qu’on conçoit, qu’on imagine, pour s’assurer qu’elle sera conduite efficacement. Puis on se lance en essayant de s’adapter en fonction des aléas. Les outils FP&A sont d’abord conçus pour traiter la partie la plus complexe du récit : la traduction chiffrée et sa conséquence mathématique et financière. Quand on présente un budget, ou lors de l’analyse d’écart, s’arrête-t-on pourtant à décrire les chiffres ou les interprète-t-on par une histoire ? Celle qui était prévue et celle qui s’est effectivement déroulée. Au fond, les chiffres ne sont qu’une représentation du récit, qu’un vecteur de communication qui peut sembler obscur pour certains alors que l’art de la narration se veut universel. Le travail d’analyse des données consiste à expliquer les faits qui se cachent derrière les chiffres, et non à fournir d’autres chiffres, plus précis, qui détaillent mais qui n’expliquent pas. Le récit d’un avenir choisi, comparé à la réalité, est une tâche tout aussi importante que sa traduction chiffrée. Le fameux « storytelling » est bien connu des gens du marketing. Il existera peut-être un jour un rôle officiel de « Chroniqueur d’entreprise » (Chief Chronicler Officer ?) comme il en existait au moyen-âge au service du roi : celui dont la tâche est d’écrire le roman de l’entreprise au jour le jour (et de comparer avec l’histoire prévue). La fonction de « communication » de la direction financière ne cessera de se développer. Déjà, il ne suffit plus d’ajouter dans un rapport mensuel des graphiques ou des commentaires tels que « La croissance de x est due à la croissance de y et à la baisse de z ». Il s’agit désormais de conserver des traces des récits prévus, d’améliorer la qualité de la rédaction des analyses, de rendre compréhensible par des mots ce qui est obscur avec des chiffres, de replacer dans un contexte plus large, de mettre en relief avec l’actualité, de faciliter la lecture par l’emploi de termes choisis, de favoriser une mise en forme lisible des textes agrémentée d’images, de dessins ou de graphiques ciblés, etc. Cela peut paraître un aimable paradoxe : le contrôle de gestion n’est plus le monde du chiffre et du KPI. Il est à la croisée des chemins, des interlocuteurs et des modes de communication. Il est maintenant au cœur du langage. |